2023 - Un verdissement conservateur. L’Etat, la gestion de l’eau et la régulation des rapports entre politiques publiques - Sylvain Barone

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Sylvain Barone a soutenu, le 02 octobre 2023, son habilitation à diriger des recherches en science politique intitulée « Un verdissement conservateur. L’Etat, la gestion de l’eau et la régulation des rapports entre politiques publiques ».

Composition du jury :

M. Philippe Bezes, directeur de recherche CNRS, CEE, Sciences Po Paris

Mme Cécile Blatrix, professeure de science politique, AgroParisTech, UMR Printemps (rapportrice)

M. Olivier Borraz, directeur de recherche CNRS, CSO, Science Po Paris (garant et rapporteur)

Mme Gabrielle Bouleau, ingénieure en chef des Ponts, des Eaux et des Forêts, chercheuse HDR à l’INRAE, LISIS

Mme Anne-Cécile Douillet, professeure de science politique, Université de Lille, CERAPS (rapportrice)

M. Andy Smith, directeur de recherche FNSP, CED, Sciences Po Bordeaux 

 

Résumé :

Les politiques environnementales se sont déployées, pour l’essentiel à partir du dernier quart du XXème siècle, dans un vaste complexe d’organisations, de normes et d’interventions étatiques préexistantes au sein desquelles elles ont dû trouver leur place et qui a contribué à les structurer. Ces interventions s’étaient plutôt développées, parfois depuis plusieurs siècles, autour de la maîtrise de la nature, de la défense et de l’aménagement du territoire, du développement économique et industriel. L’atteinte d’objectifs écologiques passe aujourd’hui bien souvent par leur prise en compte par d’autres politiques publiques : agricoles, industrielles, énergétiques, judiciaires, d’aménagement du territoire, de transport, etc. Les rapports entre ces différentes interventions et l’action publique environnementale, leur articulation, leur hiérarchisation, leur ignorance mutuelle, relèvent en grande partie de l’Etat.

Il existe beaucoup de travaux sur ces interactions entre politiques et leurs effets sur le traitement des enjeux écologiques. Ceux-ci comportent toutefois souvent un biais fonctionnaliste et/ou normatif. Ils s’intéressent notamment aux obstacles existants et aux conditions favorables à l’intégration des politiques publiques au bénéfice de l’environnement, aux policy mixes permettant d’atteindre des objectifs de coordination, de cohérence et in fine de meilleurs résultats environnementaux. Nous proposons de faire un pas de côté par rapport à l’étude de ces processus intentionnels pour nous focaliser sur les ressorts et les effets, notamment institutionnels et politiques, de la régulation effective des rapports entre politiques publiques.

La démarche proposée consiste à s’extraire de l’attention portée aux seules politiques environnementales pour embrasser un spectre beaucoup plus large. Notre argument est qu’une approche attentive à la régulation des rapports entre différentes politiques publiques permet d’éclairer sous un autre jour les difficultés structurelles de l’action publique environnementale. Dans cette optique, cette dernière ne rencontre pas simplement des difficultés à trouver sa place dans un ensemble dense et en perpétuelle expansion de politiques, d’organisations, de normes. Une telle approche systémique s’intéresse également aux effets de l’accumulation et de la juxtaposition de différentes politiques publiques sur le traitement des enjeux écologiques, et à la manière dont l’Etat intervient, le cas échéant, pour gérer ces effets. Elle invite ainsi à décrypter la façon dont le traitement des questions écologiques est formaté par des institutions, des stratégies, des logiques professionnelles, etc., qui sous-tendent des politiques publiques situées en dehors du champ de l’environnement. Deux grandes questions transversales animent la réflexion : qu’est-ce que cette régulation fait à, et dit de, la structuration du pouvoir dans notre société ? Que nous apprend-t-elle sur le fonctionnement de l’Etat ?

Pour tester l’intérêt de cette approche, nous nous intéressons à un type d’enjeu écologique en particulier : la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques. La gestion de l’eau est modelée par des compromis avec les groupes sociaux et les acteurs sectoriels les plus directement concernés par cette gestion. Dans ce domaine, le processus d’écologisation s’est accompagné de la production et de la diffusion d’un discours sur la « gestion intégrée » (l’intégration renvoyant notamment ici aux rapports entre différentes politiques publiques), qui n’a pas été sans effets concrets. Cependant, l’écologisation ne semble possible ou tolérée que dans la mesure où ces compromis peuvent se maintenir. Ces derniers sont parfois interrogés ou mis à l’épreuve. Mais ils se trouvent en fin de compte périodiquement actualisés dans et par l’action publique. La structuration des intérêts sociaux et des rapports de pouvoir autour de ces enjeux demeure globalement stable sur la durée.

Ces caractéristiques nous renseignent sur un fonctionnement global de l’Etat, marqué par des formes de conservatisme –  dans le sens de la préservation de l’ordre social, économique et politique établi. Or, l’Etat se trouve aujourd’hui directement interpellé sur son rôle fondamental et sa capacité à protéger et adapter la société face à des enjeux écologiques et climatiques totalement inédits. Dans ces conditions, la question se pose de savoir combien de temps ces compromis et ces modes de régulation entre politiques publiques pourront se maintenir – au-delà des ajustements marginaux et du recours de plus en plus fréquent à des expédients pour gérer ces évolutions et les situations de « crise ».

Le manuscrit est organisé en quatre chapitres. Le premier chapitre présente le cadrage problématique, théorique et empirique de notre réflexion. Une revue critique de la littérature sur l’Etat, l’action publique et l’environnement est proposée afin d’argumenter sur l’originalité du questionnement. Ce chapitre précise également l’approche conceptuelle retenue (une approche institutionnelle et politique) et le matériau empirique mobilisé, constitué au fil d’une série d’enquêtes sur la gestion de l’eau. Les trois chapitres suivants présentent des résultats de recherche en proposant des pistes d’analyse à partir du cas de la gestion écologique de l’eau en France. Le deuxième chapitre est ainsi consacré à une histoire des politiques de l’eau et à la manière dont les rapports entre politiques publiques ont été normés, autour de la gestion de l’eau, par un principe d’intégration, dont l’application est caractérisée par une ambiguïté fondamentale (concilier tous les usages et protéger les milieux). Nous en analysons les usages pluriels (professionnels, territoriaux, politiques) et la propension à institutionnaliser une « écologie du compromis ». Les troisième et quatrième chapitres s’intéressent aux tensions plus ou moins vives, qui continuent évidemment d’exister en pratique, entre politiques publiques, et à leur régulation concrète.

Le chapitre 3 place ainsi la focale sur les tensions impliquant les grandes politiques d’usage de l’eau (politiques agricoles, industrielles, d’aménagement du territoire). Les travaux abordant la gestion de l’eau par le prisme des rapports entre politiques publiques restent le plus souvent cantonnés à ces domaines de proximité immédiate. Ce faisant, ils cultivent une certaine myopie à l’égard d’autres politiques, en particulier régaliennes et constitutives. La faible prise en compte de ces politiques contribue à la minimisation et à la déformation du rôle de l’Etat. Il est pourtant évident que les choix en matière de budget, d’organisation administrative, de décentralisation, de contrôle des comportements, de sanction pénale, ne peuvent rester sans effet sur le traitement des enjeux liés à l’eau, ce que montre le chapitre 4. A l’issue de ces deux chapitres, plusieurs modes de régulation des rapports entre politiques sont mis en évidence : intégration soft, face-à-face conflictuel, intégration inversée (au détriment des écosystèmes), contournement discret et verdissement conservateur, qui confère un surcroît de légitimité à certaines postures, orientations ou mesure, sans avoir à modifier les arrangements déjà en place, ni à payer le prix politique d’une véritable écologisation.

La conclusion revient sur les principaux enseignements empiriques et théoriques de ces développements concernant d’une part la gestion de l’eau, prise dans la « colle » des compromis multi-sectoriels, et d’autre part la sociologie de l’Etat face aux bouleversements écologiques et climatiques.

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