Devant le jury composé de :
M. Bruno ROMAGNY, Directeur de recherche, UMR LPED, IRD (Rapporteur),
M. Jean-Paul BILLAUD, Directeur de recherche, LADYSS, CNRS (Rapporteur),
M. François MOLLE, Directeur de recherche, UMR G-Eau, IRD ( Examinateur),
M. Mohamed ELLOUMI, Professeur, INRAT (Examinateur),
M. Serge MARLET, Chercheur, UMR G-Eau, CIRAD (Examinateur),
M. Nicolas FAYSSE, Chercheur HDR, UMR G-Eau, CIRAD (Directeur de thèse).
Résumé
En Tunisie, la gestion des périmètres irrigués a progressivement été transférée depuis 1987 aux associations d’irrigants. Elles sont actuellement placées sous le statut de Groupements de Développement Agricole (GDA). Cette expérience de transfert de gestion est généralement analysée comme peu performante aussi bien par les chercheurs que par les fonctionnaires de l’Etat tunisien. Les récents débats sur les démarches de transfert de gestion des périmètres irrigués mettent en avant l’intérêt de dépasser l’analyse des conditions de succès et d’échec pour s’intéresser plutôt à l’étude des formes de coordination qui résultent de ces réformes institutionnelles. Une telle étude peut s’intéresser en particulier à l’agencéité des acteurs, c’est-à-dire leurs capacités à agir au sein des systèmes sociotechniques (SST) constitués autour des GDA.
Cette thèse se propose d’analyser dans quelle mesure et comment les acteurs de ces SST agissent individuellement et/ou collectivement pour gérer leurs périmètres irrigués. Pour ce faire, nous avons étudié trois SST et nous nous sommes intéressée à trois enjeux nécessitant une coordination et/ou de négociation autour de la distribution de l’eau pour chacun de ces SST. Au lieu de chercher à analyser des agencéités « intrinsèques » des acteurs dans ces systèmes sociotechniques, nous avons privilégié d’étudié, pour chacun de ces enjeux, les logiques des acteurs (le sens qu’ils donnent à leur action, sur la base de leurs représentations, leurs objectifs et stratégies), leurs maîtrises (c’est-à-dire leur capacité à réaliser leurs objectifs), ainsi que les évolutions de ces logiques et maitrises par l’apprentissage.
Les acteurs des SST étudiés ont adopté des stratégies individuelles dans trois situations : (i) lorsqu’ils estiment avoir une bonne maîtrise individuelle pour une situation d’enjeu donnée ; (ii) quand ils considèrent qu’ils n’ont pas l’opportunité de réussir une action collective ; ou (iii) quand ils n’ont pas réussi à initier ou à faire partie d’une coalition d’acteurs. Pour chacun des enjeux analysés, nous avons identifié différentes maitrises collectives selon les acteurs impliqués et le degré de coordination obtenu. Ainsi, nous avons pu positionner ces maîtrises collectives sur un gradient de coordination comprenant notamment : (i) l’absence d’accord entre les acteurs sur le diagnostic initial et les solutions à développer ; (ii) l’incapacité des acteurs à mettre en œuvre les solutions qu’ils ont pourtant identifiées comme pertinentes pour le collectif ; ou (iii) l’existence d’une coalition pour mettre en œuvre ces solutions.
L’analyse des différents degrés de maitrise collective permet d’enrichir les approches centrées sur le concept d’agencéité à deux niveaux. Premièrement, notre analyse montre que les degrés de maîtrise collective et les acteurs impliqués dans les coalitions étudiées sont très différents d’un enjeu à un autre, pour un même SST. Ainsi, mener une étude qui serait centrée sur le concept d’une agencéité collective générique pour l’ensemble des acteurs du SST reviendrait à faire une forte approximation. Deuxièmement, l’analyse des maîtrises collectives permet de révéler les facteurs de blocage spécifiques aux différents degrés de coordination. Notre approche d’analyse des logiques et des maîtrises individuelles et collectives permet ainsi de concevoir des actions d’accompagnement adaptées aux spécificités de chacun des systèmes sociotechniques étudiés.
Mots clés : agencéité collective, associations d’irrigants, maîtrise collective, enjeux communs de gestion, périmètres irrigués, système sociotechnique, Tunisie.