Les influences mutuelles entre les activités humaines et les ressources naturelles sont au cœur des débats sociétaux. Les défis à l’égard de la gestion de l’eau en dépendent différemment selon les situations locales. Dans ce contexte, la communauté de recherche en hydrologie s'interroge sur la pertinence de ses modèles pour représenter les activités humaines en interaction avec les ressources en eau. La littérature est riche en études dans lesquelles la complexité des processus modélisés concerne l'hydrologie. Mais les activités humaines comme l’irrigation sont représentées de façon plus ou moins agrégée et de manière tendancielle voire stationnaire au cours du temps. Comme en témoignent les réflexions en cours au sein de la « sociohydrologie », il est nécessaire de mieux documenter les diverses interactions et rétroactions dues à l’irrigation au sein des agro-hydrosystèmes. Les interactions à court terme sont particulièrement peu explorées. Or, à court terme, la gestion de l'irrigation repose sur des contraintes opérationnelles, comme celles inhérentes à la distribution de l’eau, qui peuvent impacter de manière significative l’état à venir des cultures et des récoltes. Vice versa, l’état des cultures influence la fréquence et la répartition spatiale des opérations d’irrigation qui modifient localement l’état des ressources en eau. De plus, la plupart des approches de représentation des actions humaines au sein de ces systèmes assimilent l’action à sa phase de décision, faisant souvent fi du niveau opérationnel. Ainsi, la question explorée dans la thèse est la suivante :
Comment pouvons-nous représenter au niveau opérationnel les actions des irrigants dans l'espace et le temps pour prendre en compte de manière dynamique et située leurs interactions avec les composantes agrohydrologiques du système ?
Et que pourrait apporter cette représentation aux discussions sur la gestion de l'eau d’un cas précis ?
Nous proposons d’abord de mobiliser le concept d’Affordance pour construire un modèle à base d’agents (WatASit) représentant explicitement les possibilités d'actions des irrigants en situation de tension pour le partage de l’eau. Appliqué à un réseau gravitaire typique du bassin du Buëch en Durance (France), nous montrons que les trajectoires des agents dépendent de l’évolution de leurs possibilités au cours de la campagne d’irrigation et que l’analyse de ces possibilités aide à l’interprétation des comportements individuels et collectifs. Notamment, les conséquences de l’abandon de la coordination par tours d’eau du réseau, observé lors des enquêtes de terrain, ne semble pas impacter tous les irrigants de la même façon en renforçant les inégalités spatiales entre l’amont et l’aval du réseau. Nous proposons ensuite le cadre COPAT (COupling Plant and Agent Trajectories) pour coupler un modèle de culture à l’échelle de la parcelle (Optirrig) et le modèle WatASit à l’échelle du réseau d’irrigation. La cohérence temporelle du couplage repose sur la dérivation du modèle de culture en fonction journalière. À chaque pas de temps journalier, l'irrigation reçue par chaque parcelle est déterminée par les opérations des agents contraints par le partage de l’eau au sein du réseau collectif. Un stress hydrique plus précoce est observé par rapport à une irrigation qui ne dépendrait pas d’un tel partage, mais la coordination du réseau par tours d’eau tend à limiter ce stress. Enfin, nous proposons une méthodologie de couplage COWAT (COupling Water and Agent Trajectories) avec le modèle hydrologique spatialisé J2000 et mettons en évidence certains points de vigilance pour assurer la cohérence spatiale à une échelle fine. Au final, le concept d’Affordance permet d’inscrire la modélisation des actions humaines dans un débat interdisciplinaire plus large sur leur représentation et l’hydrologie est pensée en interaction avec ces actions humaines et les enjeux opérationnels de la gestion de l’eau.
Mots-clés : irrigation collective ; gestion opérationnelle ; modélisation à base d'agents ; modèle de culture ; modélisation hydrologique distribuée ; Buëch.
Bastien RICHARD a soutenu sa thèse en Sciences de l'eau préparée à l'institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement (AgroParisTech) au sein de l'école doctorale Agriculture, Alimentation, Biologie, Environnement et Santé (ABIES)
La soutenance a eu lieu le 17 décembre à 10h00 en Visioconférence du fait de la situation sanitaire, devant le jury composé de :
- Christophe Cudennec, Professeur, Institut Agro – AgroCampus Ouest, Rapporteur
- Benoit Gaudou, Maitre de conférences, Université de Toulouse Capitole, Rapporteur
- Sandrine Anquetin, Directrice de Recherches, CNRS, Examinatrice
- Delphine Burger-Leenhardt, Directrice de Recherches, INRAE, Examinatrice
- Rémy Courdier, Professeur, Université de La Réunion
- Olivier Barreteau, ICPEF, INRAE, Co-Directeur
- Bruno Bonté, Chargé de Recherches, INRAE, Co-Encadrant
- Isabelle Braud, Directrice de Recherches, INRAE, Co-Directrice