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Résumé : Depuis le début des années 2000, la gestion quantitative de l’eau est devenue centrale dans les politiques européennes et françaises pour répondre aux objectifs environnementaux fixés dans la Directive Cadre sur l’Eau. L’augmentation de l’efficience des réseaux d’irrigation correspond à l’une des principales mesures mises en avant, estimant que plusieurs dizaines de milliards de mètres cubes pourraient être économisés au niveau européen. Toutefois, l’efficacité environnementale de la modernisation des périmètres irrigués fait débat aussi bien dans la littérature scientifique qu’au sein d’organismes publics qui l’encouragent. En effet, « l’économie d’eau » correspond à une redistribution des flux entre de multiples usagers et l’environnement, à l’échelle du bassin versant, et les impacts de la modernisation dépendent donc de nombreux facteurs (possibilité d’augmenter les surfaces irriguées et les rendements, réglementation des autorisations à prélever, modification des chemins de l’eau, etc.). Si les aspects techniques du problème sont relativement bien connus, les enjeux politiques liés à la modernisation des canaux d’irrigation ont été plus rarement explorés, en particulier dans le cas de la réallocation d’eau vers l’environnement. Le bassin de la Durance, dans le sud-est de la France, représente un cas d’étude idéal, car les nombreuses infrastructures rendent particulièrement visible la redistribution des flux liée aux économies d’eau. Cela a donné lieu à la création d’instruments de politique publique spécifiques, et s’intègre dans une trajectoire de plus de 50 ans. Grâce à un cadrage ancré dans les sciences politiques et la political ecology, nous analysons les paradigmes, les instruments et les territorialisations des politiques d’économie et réallocation d’eau dans le temps long. Plutôt qu’une mesure « sans regret » indiscutable, nous montrons que la modernisation des techniques d’irrigation repose sur de multiples négociations et compromis permettant l’agencement de visions du monde et normes d’action, d’usages de l’eau interdépendants, et de pratiques et discours de divers territoires hydro-sociaux, alors que l’impact environnemental des économies d’eau reste incertain. La construction du consensus se fait dans un cadre fortement contraint par les intérêts historiques et institutions hérités du passé, et passe à la fois par des processus de traduction depuis les échelles nationales ou de bassin hydrographique jusqu’au niveau local, et par des dynamiques ascendantes de réappropriation des outils dans les territoires. Nous mettons en évidence le rôle clé des incertitudes et ambiguïtés dans l’adoption de nouveaux arrangements institutionnels, ainsi que l’effet de naturalisation des compromis politiques dans les réglages et le fonctionnement des instruments de politique publique. Finalement, la thèse participe à renouveler les débats sur la redistribution de l’eau entre humains et non humains, en s’appuyant sur une approche interdisciplinaire qui montre les interactions multiples entre flux d’eau et d’argent, relations de pouvoir et allocations des ressources, constructions des territoires de l’eau et de l’action publique.
Mots-clés : politique de l’eau, gestion de l’eau, économies d’eau, débits environnementaux, Durance, territoires hydro-sociaux.