Dans les périmètres irrigués, la rigidité des cadres juridiques et des règles formelles de gestion du foncier pèsent considérablement sur les agriculteurs, aussi bien pour les terres privées que pour les terres domaniales. Ils sont en partie contournés et les pratiques d’accès aux terres s’effectuent via des contrats fonciers qui peuvent poser des problèmes de durabilité. Dans nos recherches sur le périmètre de Gaâfour (Nord-Ouest, Tunisie), nous nous sommes intéressés à l’impact des structures foncières sur le fonctionnement des exploitations et à la place du faire-valoir indirect dans les stratégies des agriculteurs, ainsi qu’aux conséquences sur leur situation, et sur la durabilité du périmètre. Pour conduire ces travaux, des entretiens exploratoires et des enquêtes détaillées ont été menés auprès des agents institutionnels et de différents types d’exploitants. Nos résultats, montrent que, face aux contraintes, foncières, techniques et financières, une majorité d’exploitants ont recours au faire-valoir indirect. Ainsi, nous notons des dynamiques foncières importantes et une diversité des contrats fonciers (contrats de location de longue durée, contrats de location pour une campagne, contrats de métayage), qui mettent en relation des acteurs tout aussi divers (propriétaires, attributaires de l’État, locataires, métayers). Ceci est la marque d’un système foncier en évolution, à la recherche de formules adaptées aux différents rapports de force et aux différentes contraintes foncières (petitesse des superficies, manque de terres, morcellement, augmentation des prix fonciers) et financières (absence d’accès aux crédits bancaires).Le recours au faire-valoir indirect, même via des contrats informels, permet d’assurer la continuité de la production sur les terres irriguées par des exploitants qui ont les capacités financières et le savoir-faire pour pallier l’absence de l’État. Le faire-valoir indirect permet ainsi le passage des terres de propriétaires ou d’attributaires qui ont peu d’aptitudes pour l’agriculture, et ont une productivité faible, vers des exploitants plus performants. Bien que le faire-valoir indirect ait pris une place importante, son développement dans un cadre informel génère des effets négatifs sur la durabilité du périmètre. Il conduit, ainsi, à des performances environnementales faibles et des externalités négatives (dégradation du sol, surexploitation des ressources). Ces pratiques de faire-valoir indirect conduisent, d’autre part, à une concentration foncière au profit des exploitants qui possèdent le plus de moyens financiers et à une diminution de l’équité sociale. L’exploitation des terres, par des contrats informels et sans sécurité foncière, menace aussi la transmission des exploitations. Le faire-valoir indirect devrait être mieux pris en compte par l’État qui pourrait inciter les propriétaires qui sont dans l’incapacité d’exploiter leurs terres, à les céder en location avec des contrats de longue durée. Ces contrats devraient donner une sécurisation foncière suffisante aux locataires et surtout offrir des droits équivalents à un titre foncier en matière d’accès aux crédits bancaires. Des mesures à l’amont en termes d’accompagnement technique, et à l’aval de la production, au niveau des circuits de commercialisation, sont aussi nécessaires.
Mots-clés : périmètre irrigué, foncier, faire-valoir indirect, contrats, terres domaniales, terres privées, développement agricole, durabilité.
Photos : Culture de piments, Gaâfour, Tunisie ©Inès Gharbi |