© D. martin, IRD : Zone humide du fleuve Sénégal
Le monde de la gestion des eaux est dominé par la recherche d’efficacité et de précision dans l’évaluation et l’allocation de la « ressource » au sein des « hydrosystèmes ». Les savoirs hydrologiques y occupent une place prépondérante. Or, ce type d’approche échoue à prendre en compte les logiques d’action en présence et les différentes formes de savoir qui les sous-tendent. Les problèmes d’accès à l’eau et les conflits semblent alors insolubles.
© A. Ogilvie, IRD : Envol drône pour survol des parcelles agricoles
Les chercheurs réunis par le programme SocioHydr’OSé font l’hypothèse qu’un changement dans les régimes de production du savoir hydrologique est nécessaire pour prendre en compte la complexité des relations eaux/sociétés. SocioHydr’OSé propose d’explorer une production interdisciplinaire des savoirs sur l’eau en associant les sciences humaines aux sciences hydrologiques et en mettant le terrain au cœur de la démarche de recherche.
© A. Ogilvie, IRD : Vue aérienne des parcelles agricoles
Nous focaliserons nos regards sur le fleuve Sénégal, ressource centrale pour le Sénégal et la Mauritanie qu’il traverse, et qui, à ce titre, fait l’objet depuis plusieurs siècles d’une production intense de savoirs. Trois terrains des hydrologues du projet sont englobés dans le « méta-terrain » SocioHydr’OSé. Cela permettra de réfléchir collectivement dans trois directions complémentaires : 1) comment les savoirs « scientifiques » s’articulent-ils avec les modalités de gestion des eaux autour du fleuve ? 2) Quels sont les autres savoirs sur l’eau (savoirs locaux, savoirs opérationnels, savoirs des sciences humaines) en présence ? 3) Comment associer savoirs « scientifiques » et « autres savoirs » pour renouveler la conception des rapports qui se nouent entre sociétés et eaux ?
© A. Ogilvie, IRD : Cultures sur parcelles
Cette recherche s’appuie sur des travaux déjà en cours, principalement menés par des hydrologues et des agronomes. Le regard des sciences sociales permettra de porter un nouveau regard sur les savoirs déjà produits. Le dialogue interdisciplinaire mené sur le terrain permettra aussi de mettre en lumière des besoins de savoirs complémentaires ou de circulation des savoirs. Pour cela, l’équipe projet favorisera à la fois les travaux réalisés en binôme ou en trinôme sur les trois terrains du projet et des ateliers de partage sur ce que nous considérons comme « savoirs hydrologiques », et sur la manière dont le fleuve est envisagé par les différents acteurs en présence.
L’ambition interdisciplinaire du projet SocioHydr’OSé impose une forte dimension exploratoire à la démarche. L’accompagnement de la MSH Sud permet à la fois de dépasser les impossibilités liées à la structuration classique des appels à projet (où les attendus doivent être anticipés précisément, ce qui entrave le temps de « négociation » interdisciplinaire) ; de donner du poids et des marges de manœuvre aux sciences de la société dans le dialogue interdisciplinaire ; de donner de la visibilité à la « démarche sociohydrologique » que nous déployons au Sud et par là, de favoriser des convergences avec d’autres personnes, chercheurs des sciences de la société et acteurs de l’eau (décideurs et gestionnaires, élus, utilisateurs et riverains), pour poursuivre notre projet dans la perspective d’une mise en dialogue des savoirs sur l’eau autour du fleuve Sénégal.
Une équipe-projet engagée dans le dialogue interdisciplinaire
- Ogilvie (hydrologue IRD), C. Leduc (hydrogéologue IRD) et J. Riaux (anthropologue IRD) ont collaboré en Tunisie, à travers l’ethnographie et l’analyse des savoirs hydrologiques locaux et scientifiques.
- Orange (écohydrologue IRD) et A. Wesselink (Science & Technology Studies IHE Delft), anciens collaborateurs sur le fleuve Oubangui (RCA), ont une expérience approfondie de la collaboration interdisciplinaire sur plusieurs terrains, dont les fleuves Sénégal et Niger.
- Leduc et A. Mohamed (hydrogéologue, École Supérieure Polytechnique de Nouakchott) codirigent une thèse sur les dimensions hydrogéologiques, techniques et sociales de la gestion de l’eau dans le parc du Diawling (Mauritanie).
- Ogilvie et A. Adamczewski (géographe CIRAD affectée à l’Université Gaston Berger de Saint Louis du Sénégal) collaborent à travers plusieurs programmes sur l’agriculture irriguée autour du fleuve Sénégal.
- D. Orange et Adrien Coly (hydrologue géographe, Université Gaston Berger à Saint Louis du Sénégal) collaborent depuis plusieurs années sur des projets de recherche associant ingénierie écologique et écohydrologie.
Illustrations
Le fleuve Sénégal est le centre d’un espace physique et social. Voie de communication, ressource productive, élément du paysage, le fleuve nourrit les imaginaires et rythme les vies de ceux qui le côtoient, qu’il s’agisse des riverains, de ceux qui ont pour mission de l’aménager ou de ceux qui cherchent à le comprendre. Au cours du siècle dernier, le fleuve Sénégal a fait l’objet de nombreux aménagements : un barrage à l’amont, un autre à l’aval, des digues et des pompes ont profondément modifié sa nature, son rythme et les imaginaires qui y sont associés. Pour les hydrologues, la production de savoirs s’est tournée vers l’idée de maîtrise technique, de régularisation des flux, d’optimisation des usages. Mais les résultats en termes de développement hydroagricoles ne sont pas toujours au rendez-vous. Qu’en pensent les différentes personnes concernées ? Quels autres savoirs aurait-on pu, peut-on encore, produire pour permettre aux différents acteurs en présence de s’adapter à ces modifications ? Comment anticiper les problèmes à venir ? Comment aborder les problèmes déjà là ?